La science du comptoir [Partie 1 : vodka et champagne]

Comment parler de sciences sans s’attarder un instant sur ce magnifique terrain d’expériences qu’est le comptoir, ou le zinc comme disent les initiés. D’autant qu’en matière de boisson, les scientifiques n’en sont pas en reste.
J’en tiens pour exemples ces messieurs Wolfgang Pauli, physicien théoricien, qui sombra définitivement dans l’alcoolisme quand sa femme le quitta pour un chimiste;
ou encore l’illustre Georges Gamow (russe) qui, juste avant de mourir (d’une cirrhose), déclara, sans un regret, « finalement, c’est mon foie qui paie l’addition ».
Pour l’anecdote, le deuxième luron, ivre à longueur de journées, était un fieffé farceur qui écrivit dans un article publié dans ‘Nature’ que la force de Coriolis affectait probablement les vaches qui semblaient mâcher dans un sens de rotation différent dans les hémisphères nord et sud.
Alors avant de casser les glaçons, je vous propose de faire un petit détour par ce que vos verres ont de plus curieux.

ScienceComptoir_Alcools_verres

Vodka – une histoire de goût

Pas besoin d’être un chimiste établi pour savoir qu’au pays des alcools forts, la vodka fait consensus. Sans odeur, sans goût, la petite eau (traduction littérale de vodka) se marie avec à peu près tout.
Et c’est bien normal, puisque toutes les vodkas sont composées exclusivement d’un mélange

  • Ethanol (Alcool pur) : 40%
  • Eau distillée : 60%

Je vois déjà les amateurs de Grey Goose ou de Beluga faire la moue, jurant que toutes les vodkas ne se valent pas… Et c’est bien ce qui a intrigué un groupe de chercheurs russes et américains qui se sont mis en tête de trouver ce qui pouvait motiver la préférence de certains consommateurs pour une marque plutôt qu’une autre.
Pour cela, les chercheurs se sont intéressés aux travaux d’un certain Dmitri Mendeleïev (oui, oui celui du tableau périodique).
Souvent reconnu pour son travail sur la classification des éléments, le professeur Mendeleïev n’en était pas moins un homme aux multiples facettes, un genre de couteau suisse humain à la fois inventeur, poète, maroquinier, aéronautes, … Au tableau (oh oh) de ces nombreux exploits, on lui attribue souvent l’invention de la vodka.
C’est en effet au cours de sa thèse que Mendeleïev s’est aperçu que des composés (des genres de grappes de molécules) appelés « hydrates d’éthanol » se formaient dans des solutions contenant 40% d’éthanol et 60% d’eau.

Pour l’anecdote, les travaux de Mendeleïev l’amenèrent à déterminer le titrage optimal de la vodka à 38% d’alcool, cependant pour des raisons de taxes (calculées en fonction de la teneur d’alcool du breuvage), l’empereur Alexandre III arrondit ce titrage à 40% pour (soit disant) faciliter la tache de l’administration fiscale russe. 

L’étude des chercheurs [disponible ici] semble indiquer que la proportion de ce composé « hydrate d’éthanol » varie d’une marque à l’autre et pourrait bien être responsable des nuances de goût ressenties par certains consommateurs (sans dire s’il en faut beaucoup ou au contraire s’il en faut moins).
Ci-dessous, une répartition des marques de vodka étudiées en fonction de la proportion d' »hydrate d’éthanol » relevée (les marques les plus en bas sont celles contenant le plus ce composé et donc s’éloignant le plus d’un mélange pur éthanol/eau).

ScienceComptoir_Vodka_Study
figure 1 – répartition des marques de vodka en fonction d’un paramètre SP caractérisant la teneur en hydrate E 3(5.3)H2O

Au vu des marques citées, j’aurais donc tendance à penser que plus une vodka se rapproche d’un mélange éthanol-eau pur, plus elle est bonne…
Enfin, malheureusement, l’étude n’identifie pas clairement pourquoi la proportion de ces hydrates varie d’une marque à l’autre même si elle suggère que la présence d' »impuretés » pourrait altérer les proportions observées.
Le mystère du goût de la vodka n’est donc pas encore complètement élucidé.
Les lecteurs attentifs et soupçonneux noteront que la marque OVAL semble avoir eu un rôle actif dans la réalisation de cette étude à en croire les remerciements de dernière page.

Champagne – une histoire de bulles

Alors là, attention. On touche au patrimoine français. Alors qu’on se le dise haut et fort, comprendre et transmettre ce qui va suivre relève de l’acte citoyen.

Le champagne en quelques chiffres

  • 5 litres: c’est le volume moyen de gaz carbonique (CO2) emprisonné dans une bouteille de 75cl.
  • 6 atmosphères: c’est la pression régnant au sein d’une bouteille fermée à température ambiante.
  • 1 000 000: c’est le nombre de bulles susceptibles d’apparaître dans une flûte (si on ne la boit pas).

Comment servir le champagne

La première chose à savoir c’est que les bulles sont précieuses. Comme nous allons le voir plus bas, ces dernières jouent un rôle crucial dans la perception aromatique du champagne.
Un champagne bien servi sera donc un champagne qui a gardé un maximum de gaz carbonique.
Une équipe de chercheurs à Reims s’est intéressée au dégagement de gaz carbonique lors du service d’une flûte. Le gaz carbonique n’étant pas visible à l’œil nu, il leur a fallu utiliser une caméra infrarouge (car comme tout bon gaz à effet de serre, le CO2 absorbe une partie du rayonnement infrarouge et n’est donc plus transparent dans cette bande de fréquences).

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figure 2 – comparaison service flûte verticale versus flûte inclinée [Imagerie infrarouge]

Le résultat de l’expérience est sans appel, l’inclinaison de la flûte lors du service permet de retenir près de 10% de plus de gaz carbonique dans la flûte de champagne (au final vous gagnez presque 100 000 bulles, c’est pas rien!).

La formation des bulles

Une croyance populaire veut que les bulles de champagne naissent par la présence de saletés dans votre verre. Avant de voir la vidéo (figure 3),  je n’avais jamais compris le lien pouvant exister entre une ‘saleté’ et une bulle de champagne.
Pour comprendre ce mécanisme, il faut d’abord savoir que les bulles ne naissent pas à partir de rien, une bulle a toujours besoin d’une autre bulle préexistante. En effet, par un jeu de pression, une bulle existante est capable d’absorber (dans son voisinage) le gaz carbonique dissous dans le champagne.
C’est ici qu’intervient la notion de « saleté ». Ce dont à besoin un champagne pour ‘buller’ c’est de fibres de cellulose. Ces fibres que l’on retrouve sur les torchons et les vêtements ont la particularité d’être creuses et donc d’emprisonner un peu d’air au moment où elles se trouvent immergées dans le champagne.

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figure 3 – création d’une bulle de Champagne dans une fibre de cellulose

La bulle emprisonnée dans la fibre de cellulose va donc absorber le gaz carbonique environnant (dissous dans le champagne) et grossir jusqu’à atteindre un taille critique l’amenant à se dégager de la fibre. La magie, c’est qu’elle laisse toujours derrière elle une petite bulle capable d’amorcer une nouvelle fois le processus.

La libération des bulles

Une fois libérées de leur fibre de cellulose, les bulles vont remonter à la surface et, durant leur ascension, vont grossir en continuant d’absorber le gaz carbonique présent dans le champagne autour d’elles.
La magie (une fois encore), c’est qu’elles n’absorbent pas que du CO2 mais aussi de petites molécules volatiles aromatiques qui se dégageront jusqu’à nos narines au moment de l’explosion de la bulle.
Une autre doctrine populaire veut qu’un bon champagne ait de fines bulles.
Si vous avez compris ce qui été dit au dessus, vous pouvez flairer l’escroquerie. En effet, plus la remontée de la bulle sera longue, plus elle grossira. Pour un même champagne, une grande flûte donnera donc de plus grosses bulles qu’une petite coupe.
Pourtant, oui pourtant… la corrélation n’est pas si maladroite. (clairvoyance ou gros coup de choune?)
En effet, la taille des bulles dépend également de la concentration en gaz carbonique du champagne (laquelle dépend également du service (cf plus haut)).
Or les vieux champagnes, dont le bouchon a pu laisser échapper une partie du gaz carbonique de la bouteille lors du vieillissement, auront donc des bulles plus fines.
De fines bulles peuvent donc être le fruit d’un champagne vieillit plus longtemps, donc probablement un champagne avec une plus grande capacité de vieillissement et une qualité supérieure.

Voilà, je vous donne rendez-vous dans une semaine pour la deuxième partie de cet article histoire de voir ce que vos verres peuvent encore vous cacher d’autre.

Références:
L’article sur Gamow par Etienne Klein:
http://www.larecherche.fr/savoirs/figure-du-passe/georges-gamow-savoir-facetieux-01-06-2000-72271
Inspiré de l’ouvrage: Il était sept fois la révolution: Albert Einstein et les autres… – Etienne Klein
Vodka:

http://www.ss5.in/files/JAFC_2010.pdfµ
http://www.livescience.com/6568-vodka-tasty-secret-revealed-special-chemistry.html
http://www.rsc.org/chemistryworld/News/2010/May/27051001.asp
http://www.la-route-de-la-vodka.com/2011/08/02/mendeleiev-la-meilleur-vodka-titre-a-38-degres-dalcool/
Champagne:
Conférence TEDx de Gérard Liger-Belair sur le sujet (à voir absolument si le sujet vous intéresse)
http://www.tedxreims.fr/lodyssee-dune-bulle-de-champagne-gerard-liger-belair/
Crédits photo:
Service Champagne infrarouge:
Voyage au cœur d’une bulle de champagne Gérard Liger-Belair et Guillaume Polidori, Odile Jacob, 2011.
Création d’une bulle de champagne
Tirée de la conférence TEDx Reims – L’odyssée d’une bulle de Champagne

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